Les pygmées Batwa du Tanganyka, une culture en voie de disparition.

Depuis des siècles, les pygmées Bambote (ou Batembo ou Batwa) du Tanganyika vivaient en harmonie avec les peuples bantous. Ils habitaient dans la forêt ou dans la savane boisée, ne pratiquaient pas l’agriculture et vivaient de chasse et de cueillette.

Au 20ème siècle, les bantous ont détruit la forêt d’origine le long du lac Tanganyka en coupant inconsidérément les arbres pour pratiquer la technique des champs sur brûlis. Le gibier chassé par les pygmées Batwa disparaît avec cette même forêt.

Les Batwa sont particulièrement nombreux dans les territoires de Nyunzu, Kalemie, Manono, Kabalo, Kongolo et un peu moins nombreux à Moba.

Famille de pygmées dans le terrtoire du Tanganyka

Actuellement, les pygmées Batwa dépendent totalement des bantous. Ils sont réduits à faire des travaux domestiques ou agricoles pour un salaire de misère, généralement payé en nature, par exemple en nourriture ou en babioles.

Ils vivent généralement aux abords des villages dans des campements de huttes en chaume ou à base d’écorce d’arbre.

Les Batwa continuent a parler leur langue, le Kimbote, qui est la langue des pygmées du bassin du Congo et constitue leur unicité linguistique.

Ils gardent jalousement leurs traditions ancestrales, entretiennent leur culture, leurs pratiques médicinales et leur religion animiste.

Huttes pygmées le long de la route de Nyunzu

Actuellement, on ne voit plus autant de pygmées de petite taille dans le Tanganyka, comme ceux de la forêt équatoriale du Congo. Car de nombreux métissages sont issus des contacts avec les bantous.

Bambote Buganga. Chanson en langue kimbote interprétée par les pygmées batwa pour se donner du courage avant de partir à la guerre pour affronter les bantous. Enregistrée par Kalunga Mawazo en 2014 à Mpende, secteur Nord Lukuga, à 60 km de Nyunzu vers Kongolo.

Totalement marginalisés, donc frustrés.

Depuis plusieurs années, certains pygmées ont intégré l’armée congolaise ce qui leur a permis de voyager dans d’autres villes de la RDC. Ils ont remarqué qu’à Kinshasa ou à Lubumbashi, les pygmées ont les même droits que tous les citoyens congolais. Lorsqu’ils reviennent chez eux, ils revendiquent ces même droits.

Plusieurs raisons expliquent cette frustration dans le Tanganyka:

  1. Les Batwa n’ont aucune propriété reconnue par l’état congolais. Impossible de se sédentariser en cultivant un champs. Mais les bantous, qui en possèdent, les font travailler sur leurs terres pour un salaire misérable.
  2. Les Batwa n’ont pas de villages fixes, ça s’appelle des campements. Ils déambulent de ça et là selon les humeurs des chefs de la contrée. Ils en sont également chassés sans ménagement selon le bon vouloir des même chefs.
  3. Les Batwa n’ont pas à accès à l’eau potable. Ils ne peuvent prendre de l’eau dans les rivières car il leur est interdit d’aller là où les bantous puisent de l’eau. Ils sont obligés de s’approvisionner la nuit, en cachette. Quand on les surprend, ils sont punis et fouettés en public.
  4. Les Batwa n’ont pas de cimetières, ceux des bantous leur sont interdits. Suivant leur tradition ancestrale, ils vont enterrer leurs morts dans des rivières proches de leurs campements. Ils détournent le cours d’eau avec un barrage, creusent deux mètres dans le lit de la rivière, enselevissent le mort et libèrent ensuite l’eau qui recouvre la tombe. Aussitôt, ils déménagent le campement et vont ailleurs. Mais c’est un problème pour les bantous qui ne sont pas au courant et continuent à puiser l’eau contaminée en aval de la tombe.
  5. Les Batwa ne sont pas admis dans les hôpitaux, réservés aux seuls bantous. Quand ils s’y présentent pour un cas urgent, on leur répond que les pygmées ne tombent jamais malades et qu’ils ont leur propre pratiques médicinales. Or les forêts des pygmées ont été décimées depuis belle lurette et par conséquent, ceux-ci n’y trouvent plus leurs plantes médicinales.
  6. Les Batwa ne sont pas autorisés à s’asseoir sur des chaises là où il y a des bantous. Ils doivent s’asseoir par terre alors que les enfants des bantous ont droit à un siège.
  7. Les enfant des Batwa ne sont jamais acceptés dans les écoles, réservées aux bantous. C’est pourquoi ils restent analphabètes toute leur vie.
  8. Les Batwa sont toujours la propriété de quelqu’un,notamment des chefs coutumiers. Prenons un exemple. La coutume en vigueur précise qu’un bantou qui a chassé une antilope donne une patte au chef et garde le reste de l’animal. Pour le pygmée, c’est le contraire. Il ne garde qu’une patte et doit donner tout le reste au chef. Les pygmées chassent alors en cachette et dissimulent toutes leurs prises. Une fois démasqués, ils sont sévèrement punis de fouet et interdits de chasse. De plus, le chef leur lance une malédiction à laquelle ils croient dur comme fer : “S’ils chassent encore, ils seront tués par des serpents venimeux ou par un féroce prédateur”.
  9. Les hommes Batwa ne peuvent en aucun cas avoir une aventure avec une fille bantoue. Il leur est en plus formellement interdit d’en épouser une. Au contraire des bantous, qui prennent fréquemment des filles pygmées en mariage, surtout à Manono. Avec ou sans le consentement de la famille de la fille et sans jamais respecter les règles en matière de dot.

Pygmée déplacé dans son campement de fortune

Instrumentalisés par les forces négatives de la région

Dans cette région circulent des troupes d’hommes armés et dirigés par des seigneurs de guerre qui sèment la désolation dans les communautés rurales du Tanganyka.

En voici quelques unes : les “Maï Maï ya Kutumba”, les “Maï Maï Cobra Matata”, les “Maï Maï Gédéon”, les “Maï Maï Ntanda Imena”, les “Maï Maï Mundus”, les “Interhamwe”, etc.

Ces seigneurs de guerre instrumentalisent les pygmées Batwa. Profitant de leurs frustrations légitimes, ils leur promettent l’émancipation vis-à-vis des bantous et une promotion collective : les Batwa deviendront les chefs de la région et ils asserviront les bantous qui deviendront leurs sujets à leur tour. Ils sont alors recrutés en masse par ces forces négatives.

Les pygmées Batwa font d’excellents espions: ils sont naturellement de très bons pisteurs, se déplacent facilement grâce à leur endurance à la course et comprennent les langues bantoues. Ils sont également redoutables au combat. Très Silencieux, ils font d’excellent tireurs, tant au fusil qu’avec leurs arcs traditionnels aux redoutables flèches empoisonnées,

En mars 2015, les pygmées de la PERCI (groupe d’éléments armés) se sont rassemblés pour renverser les chefs bantous dans les localités de Makumbo, Kabeke, Makusa, Kihuya, Mokimbo, Malemba, Nghombe Mwana, Ngoy Balumbu, Mabwe, Musoso, Kaunda, Luba, Muhuya, Senga Tshimbu, Sange, Kiyombo, etc.

Les pygmées de la la PERCI ont incendié et pillé tous ces villages, faisant près de 70 morts parmi les bantous, principalement avec leurs flèches. Lorsque les bantous cherchaient à répliquer, les Interhamwe intervenaient alors avec leurs armes de guerre.

Un seul groupement n’a pas été affecté grâce à la réputation du Chef Kasanga Nyemba, réputé pour la puissance de ses fétiches. Les pygmées ont préféré contourner le groupement défendu par des jeunes gens armés de petites haches enduites d’un liquide d’invincibilité.

Kalunga Mawazo accueilli par les pygmées à son arrivée à Nyunzu

En Mai 2015. Les pygmées de la la PERCI arrivent à seulement 3 kilomètres de la cité de Nyunzu. La Monusco y est basée mais les béninois qui constituent le contingent ne réagissent pas face aux pygmées qui avancent.

La population de Nyunzu en conclut que la Monusco est la complice des pygmées PERCI. Une foule de civils attaque le camp de la Monusco qui tire en l’air pour disperser les assaillants qui s’enfuient. Les FARDC entendent les coups de feu et se mettent eux aussi à tirer dans tous les sens. Bilan: 3 morts parmi les civils.

Informé en temps réel des tragiques événements, Kalunga Mawazo intervient à l’Assemblée Nationale pour donner l’alerte: il faut intervenir pour stopper les massacres.

Aussitôt un groupe d’autorités compétentes est rassemblé pour se rendre à Nyunzu rapidement. Il est constitué par le vice-premier ministre et ministre de l’intérieur Evariste Boschap, le ministre de la défense Mukena Lusadiese, le ministre provincial de l’intérieur du Katanga Juvenal Kitungwa Lugoma, le Gouverneur de la province du Katanga Moïse Katumbi et par Kalunga Mawazo.

Une fois arrivés dans le territoire de Nyunzu et Manono, ils y implantent les dispositifs policiers en vue de mettre fin à ce conflit et permettre aux populations déplacées de rentrer chez eux. Une centaine de combattants Interhamwe sont arrêtés; d’autres, déjà mariés avec des congolaises seront remis au HCR comme réfugiés.

Pour mettre un terme à ce conflit entre pygmées et bantous, Bienvenu Kalunga Mawazo et le professeur Lapika font une proposition de loi portant “principes fondamentaux relatifs à la protection et à la promotion des droits des peuples autochtones pygmées”.

Cette proposition de loi est inscrite à la cession ordinaire de l’assemblée nationale de septembre 2015 pour adoption et vote.

Chef pygmée dans le territoire du Tanganyka